

La crise sanitaire a fait prendre conscience de l’importance du traitement des individus en perte d’autonomie tels que les personnes âgées et celles en situation d’handicap qui ont pu se retrouver isolées et vulnérables pendant le confinement face à l’épidémie de coronavirus. Dès lors, le risque dépendance a été relancé par le gouvernement, au 2e trimestre 2020, sous la dénomination de projet sur le risque de « perte d’autonomie » des personnes âgées et des personnes handicapées. Quelles sont les pistes envisagées par le gouvernement pour financer cette branche ? Et qui sera concernée par ce projet de loi ? Eléments de réponses.
La Sécurité sociale est constituée de quatre branches : famille, maladie, accidents du travail et retraite. Au titre de cette réforme, deux projets de loi transmis aux partenaires sociaux ont pour objectif de définir des aides financières aux personnes âgées et handicapées ainsi de veiller et de contribuer à garantir l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire par le biais d’une Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Un rapport a été remis au Parlement fin septembre 2020, instaurant la création de la 5e branche de la Sécurité sociale. Les modalités et des précisions sur son financement sont attendues en 2021.
Ces deux projets de loi ont été rédigés afin de préparer la réforme :
- permettant le renforcement des ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie par l’affectation, dès 2024, d’une partie du montant provenant de la contribution sociale généralisée (CSG),
- modifiant l’organisation de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, dans le but de distinguer les recettes affectées à la CNSA.
Une réforme mainte fois reportée
Pour rappel, le projet de la création de la 5e branche a été abandonné à plusieurs reprises :
- annoncé lors de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 et en 2011, il y a eu un premier renoncement de cette réforme : Consultations sous l’égide de Mme Bachelot pour une réforme visant à créer un 5e risque qui fut soldé par l’abandon du projet.
- en 2013, second renoncement : les travaux avaient été initiés en mai 2011 par l’ancienne ministre déléguée en charge des personnes âgées et de la dépendance, Michèle Delaunay sous la présidence de François Hollande, avant d’être abandonnés en raison des contraintes de financement public.
Chiffres clés sur la perte d’autonomie
- croissance en baisse de la population française depuis 2005,
- vieillissement de la population française : les + de 75 ans représenteront 15% de la population en 2040 vs 7 % et 9 % respectivement en 1990 et en 2015,
- 1,3 million de personnes sont bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (l’APA) en 2017 avec une projection doublée d’ici 2040,
- âge moyen de survenance de la dépendance lourde : 78 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes (deux tiers des personnes dépendantes sont des femmes),
- 3 ans et demi est la durée moyenne de l’état de dépendance,
- 21% des personnes de plus de 85 ans vivent en institution en France.
De ces chiffres, le nombre de personnes âgées va nécessairement s’accroître, et malgré les progrès constants de la médecine, l’augmentation du nombre de personnes en perte d’autonomie sera étroitement liée. Avec une augmentation exponentielle, il est estimé d’ici 2030, 20 000 personnes dépendantes supplémentaires chaque année avec un chiffre moyen annuelqui se verra doublé en 2040. Il faut noter que la prévention de la perte d’autonomie jouera un rôle important dans l’évolution des nombres de dépendants et le rapport Libault rédigé en mars 2019, qui est la base de travail de cette réforme, insiste largement dessus.
Ainsi, cette nouvelle impulsion pour cette réforme fait suite à ce rapport avec comme principales propositions :
Volonté de baisser le RAC pour les personnes vivantes dans les Ehpad
Dominique Libault, ancien directeur de la Sécurité sociale (2002-2012) a contribué, dans le cadre de ce dudit rapport, à différentes propositions dont la réduction du coût de la dépendance pour un individu âgé. L’un des principaux éléments de ce rapport est le coût très onéreux des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Dans la plupart des cas, le reste à charge pour l’hébergement dépasse les ressources de la personne âgée, donc de facto un reste à vivre nul voire négatif pour la personne âgée (en considérant une aide publique ou d’un proche). La prise en charge de la perte d’autonomie doit être faite à travers des prestations plus claires par les bénéficiaires, et avec équité, l’un des objectifs serait de permettre une réduction significative du coût du séjour en établissement pour les plus modestes.
En cas d’absence d’éligibilité à l’Aide sociale à l’hébergement (ASH), une des propositions consistait à mettre en place une aide d’un montant de 300 €, évolutive en fonction des ressources de la personne âgée. Par ailleurs, pour ces derniers qui logeraient plus de quatre ans dans le cadre d’une perte d’autonomie lourde, un renfort financier devrait être mis en place puisque la durée moyenne en état de dépendance serait de 3 ans et demi (2). Ainsi plus la résidence durera, plus les coûts des soins augmenteront inéluctablement. Nommé le « bouclier d’autonomie », cette aide s’élèverait en moyenne à 740 € par mois et ainsi cela permettrait à 90 000 résidants d’en bénéficier.
A ce stade, toutes ces pistes n’ont pas encore été reprises dans les projets de réforme du gouvernement, selon les derniers échanges avec le ministère de la Santé, la question du rôle des départements dans la gestion des Ehpad publics se poserait encore et par voie de conséquence la question du reste à charge.
Vers une nouvelle prestation d’autonomie
Autre sujet important, les personnes âgées à domicile : le maintien à domicile est certes un coût moins élevé qu’en Ehpad mais il reste assez conséquent (environ 2 200 € vs 2 500 € en Ehpad (3)). L’Allocation personnalisée d’autonomie (l’APA) en fonction du dégrée de perte permet de limiter les dépenses mais elle n’est pas suffisante.
Dominique Libault propose de remplacer cette allocation par une nouvelle prestation dans le cadre de l’aide à domicile qui se déclinerait en trois points : « une aide humaine, une aide technique et un répit pour les aidants ». Trois parties liées mais chacune serait indépendante. Ainsi si le plafond d’une des trois est atteinte, il serait toujours possible de solliciter les autres, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Un soutien aux aidants
Ce rapport n’oublie pas les proches aidants, qui sans eux, le maintien à domicile ne serait pas possible. Afin de rendre un statut officiel du proche aidant, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020, celle-ci prévoit, à partir du 1er octobre 2020, la rémunération du congé proche aidant à hauteur de 43 € par jour pour un couple et de 52 € pour une personne seule, éligible sous certaines conditions (cf. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F16920).
Le financement de la cinquième branche
La question du financement de la création de 5e branche de la Sécurité sociale a toujours été au cœur des débats et cela depuis 2007. Pour ce faire, le projet de loi sur la dette sociale et l’autonomie prévoirait d’allouer 0,15 point de la CSG vers un financement pour le risque de la dépendance, correspondant ainsi à un montant de l’ordre de 2,3 Md€ par an à partir de 2024.
Il faut néanmoins noter que dans le rapport les dépenses nécessaires sont évaluées à hauteur de 6,2 Md€ par an en 2024 avec une augmentation de 3 Md€ à partir de 2030, soit un montant de 9,2 Md€ chaque année. Afin de se donner les moyens de ces ambitions, la proposition principale d’origine consistait à maintenir de la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et cela au-delà de 2024. Il fallut alors consacrer la moitié de ces recettes de 9 Md€ par an au financement de la dépendance.
A ce jour, ce scénario n’a pas été donc retenu puisqu’actuellement les dépenses s’élèvent à hauteur de 30 Md€ par an, avec 6 Md€ en « reste à charge » pour les ménages. S’il est prévu que la CRDS se poursuit après 2024, ce ne sera pas pour financer la perte d’autonomie mais pour rembourser la dette sociale qui a fortementgrimpé à la suite de l’épidémie de coronavirus.
Par ailleurs, le confinement et la récession engendrée, avec une crispation immédiate des recettes (prélèvement des cotisations et impôts) a été estimée environà 44 Md€.
Le texte a été voté par les députés en première lecture, venant alors alourdir à 136 Md€ le déficit de la Sécurité sociale
Sur les 30 Md€ (4) de dépenses (environ 1,4 % du PIB) qui sont déjà alloués pour la perte d’autonomie et quicorrespondent à :
- la santé : 12 Md€
- la dépendance (dont APA et actions sociales) : 10,7 Md€
- l’hébergement, (ASH, AL…) : 7,1 Md€
Ces dépenses sont financées principalement par les dépenses publiques : la Sécurité sociale et la CNSA, ensuite les collectivités locales et l’Etat, laissant un reste à charge de 6,3 Md€ pour les ménages.
Le sujet de fond reste alors en suspens, à savoir, la question du financement de la dépendance avant 2024, et en l’occurrence l’origine des recettes. La crainte est la même : qu’il s’agisse de projets de loi avec « une coquille vide » sur le mécanisme du financement et que ces derniers soient avortés selon l’opposition. Pour l’heure, les modalités et le financement précis de cette branche restent à définir.
La mise en œuvre des orientations du rapport Libault est un défi qui doit mobiliser largement.Le présent rapport énumère 175 propositions pour une réforme qui reste ambitieuse sur la politique du grand âge, espérant intégrer l’ensemble de ces enjeux.
Face à la situation et les limites de financement, faudrait-il renforcer la piste d’un financement intergénérationnel ? Ou encore une réflexion autour d’un pool de réassurance du privé ou de l’OCAM(5) ?
La FFA et la FNFM a également fait une proposition en parallèle d’une couverture dépendance universelle afin d’adosser dans les contrats santé solidaires et responsables une garantie dépendance en cas de dépendance lourde.
Quelles que soient décisions et les réflexions autour de ce sujet, il ne faudrait pas négliger le lien entre les ressources publiques et privées et penser au sein d’une même équipe. La création de la 5e branche de la Sécurité sociale a été actée fin septembre 2020, il faudra alors aller au bout de cette logique début 2021 puisqu’il reste à définir les modalités et son financement.
Cette réforme reste alors ambitieuse et une ultime question se pose sur la crise sanitaire actuelle et ses conséquences financières… Est-ce que cette dernière aura eu raison de ce débat ?
(1) Source : Insee et Drees
(2) Source : Drees
(3) Source : Drees
(4) *Non-prise en compte du travail informel des 3,9 millions de proches aidants auprès des personnes âgées, (valorisée à hauteur de 7 à 18 Md€).
(5) Organisme complémentaire d’Assurance maladie